Lyon, fin des années
60. Le sang coule. La femme se dit que le père du bébé
qu’elle met au monde est AUSSI responsable de ce sang-là.
Combien de fois l’aura-t-il fait souffrir ? Mais aujourd’hui,
il fait plus fort… il le fait à distance d’une certaine
façon, à neuf mois de distance.
Elle ne sait pas s’il est vivant ou mort. Pour ne pas être
avec elle en un moment pareil, elle lui souhaite d’être
resté sur le carreau. C’est l’explication qu’elle
préfère, parce qu’elle l’aime.
( Du sang et des larmes avec lui. Du sang et des larmes sans lui. )
Le sang continue de couler. Un crâne apparaît, de grosses
mains gantées sont là, qui l’attendent. Le nez passe,
des os se chevauchent, mais le reste ne suit pas, et quoi qu’il
fasse, le bébé fait souffrir la montagne vivante dont
il se détache avec peine, comme un rocher qui prend une éternité
à se désolidariser du pan de la falaise.
Dosto tombe enfin, et il pousse son premier cri.
Vingt ans plus tard,
dans la même ville où une marionnette a pris l’habitude
de bastonner un gendarme, pour la plus grande joie des enfants, Dosto
pousse un autre cri en ouvrant le feu sur un flic. Son premier flic.
Quand il entend la peine à laquelle on le condamne, il se tait.
À l’un de ses complices qui se croit chargé du rôle
du hurleur, il souffle :
- Faut pas exagérer… Ils vont pas nous crucifier le long
de la voie Appienne, tout de même. On n’est pas assez nombreux.
Sa précision n’a pas l’air de consoler son frère
d’infortune.
- Des minables comme nous… Ils peuvent pas nous confondre avec
le gang des Lyonnais. Regarde la gueule des journaleux. Ils sont déçus.
Sont privés d’un bon remake. De leur faute aussi…
Croire que les suites sont meilleures !
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Début des années 80. Un homme politique et des représentants
de la presse nationale sont assis autour d’une table aussi gigantesque
que ridicule. Heureusement que ce cirque sert à une émission
radiodiffusée !
M.Charpentois, quand il a fini de répondre aux questions des
fouille-merde, les salue (tous, sauf un au passé gauchiste trop
lourd à ses yeux), se fait montrer le chemin pour redescendre
au garage de la Maison de la Radio, rejoint son véhicule avec
chauffeur, prend une réunion en route au Q.G de son parti vers
les 20 heures, peaufine une stratégie de campagne électorale
avec ses principaux alliés dont il se méfie, dîne
avec sa femme qui fait la gueule vers les 23 heures 30, et à
deux heures du matin presque sonnantes, saute sa fille comme il a pris
l’habitude de le faire depuis qu’elle est entrée
en sixième.
Elle s’appelle Fanny. »
Premières pages de « L’IDIOT N°2 »
de Frédérick Houdaer, roman publié aux Editions
du Serpent à Plumes, collection Serpent Noir